Les profils recherchés par les DSI changent de nature sur fond de pénurie de compétences et de surenchère salariale. Quels sont les professions les plus porteurs ?

La transformation digitale ne passe pas que par l’adoption de technologies novatrices. Avant tout organisationnelle, elle se traduit par une mutation d’état d’esprit et par l’apport de nouvelles compétences. Ce qui explique le changement de l’organigramme de la DSI ces dernières années.

Entre la version 2018 et celle de 2015 de la nomenclature RH du Cigref, 19 métiers sur un total de 50 ont été réformés ou fraîchement intégrés. Dans l’histoire de ce référentiel, il n’y avait jamais eu de transformations aussi importantes.

La transformation numérique a fait voler en éclats ce type d’organisation avec de nouvelles familles autour de la data et de l’agilité. Il y a quelques années, on ne parlait pas de data scientist, de coach agile de data engineer, de product owner ou de scrum master. Actuellement, ces métiers se retrouvent dans les grandes DSI.»

Donc, dans le domaine de l’infrastructure, la Cloudification du SI a transformé l’architecte, le delivery manager et l’administrateur en Cloud designer, Cloud builder et Cloud runner.

De même, tous les recruteurs se retrouvent pour constater un grand manque de compétences. «  il y a plus d’offres que de demandes avec un espacement entre la prise en compte des attentes par la formation initiale et l’arrivée sur le marché du travail des diplômés, déclare Sophie Bayle, manager exécutif senior chez Michael Page. Ces tensions se sentent sur les rétributions. « Il y a une surenchère salariale sur certains profils mais aussi un effet de rattrapage. Le marché français s’ajuste par rapport aux Etats-Unis et le reste de l’Europe. »

Pour faire face au manque de ressources, les DSI font élever en compétences les équipes IT internes. « Elles incitent aussi de faire venir à elles les experts métiers qui ont un besoin pour la data ou l’agilité, poursuit Frédéric Lau. Durant des années, on a favorisé les compétences technologiques. Aujourd’hui, ce sont plutôt les compétences comportementales [soft skills] qui sont valorisées. Un expert métier apporte avant tout ses connaissances efficaces qui seront complétées par des compétences IT. Avant, l’IT devrait s’aligner sur la stratégie business. Avec la transformation digitale, c’est l’inverse qui se produit.  »

La famille Data : les stars de la révolution numérique

Sans étonnement, ce sont tout autour des métiers de la donnée que les tensions sont les plus fortes. « Historiquement, les sujets autour de la business intelligence ne concernaient que les données propres aux entreprises issues de leurs ERP ou CRM, déclare Sophie Bayle. Avec l’explosion du volume des données, notamment avec les réseaux sociaux, elles s’ouvrent aux données externes. »

Cette mutation de braquet fait naître de nouveaux profils. Le data engineer assure la collecte des données installées dans un data lake. En lien avec les métiers, le data analyst assure la réparation des données et leur visualisation. Le data scientist va bâtir des modèles algorithmiques pour faire parler les data et le data architecte va, lui, poser le cadre.

Finalement, au-dessus de ce petit monde, le Chief Data Officer (CDO) intervient sur la gouvernance des données. Il s’assure que les données sont de qualité et disposées au bon endroit via particulièrement des solutions de master data management (MDM).

Pour Alain Rochard, directeur d’ITGS Executive Search, le profil du Chief Data Officer n’est pas si nouveau, le data dictionnary administrator le précédait, mais il prend une dimension nouvelle avec la transformation numérique. « Certains CDO vont plus loin que rendre la donnée disponible et expliquent aux métiers comment consommer et vendre de nouveaux services liés à la data. »

Ces CDO parviennent de l’IT ou du business (formation gestion ou commerce) et plus de la moitié sont directement rattachés à la direction générale. Depuis la mise en œuvre du RGPD, difficile de circuler à côté d’un autre acronyme : le DPO pour Data Protection Officer.

« S’il manque de DPO, il n’y a pas tant de recrutements externes que cela, pourchasse Alain Rochard. Les entreprises font évoluer des collaborateurs en interne, des anciens correspondants informatique CIL, des gens de l’IT, des experts juridiques ou des RH avec un sensibilité à la technologie ».

La famille Infra : la Cloudification fait changer les rôles

Plus que de nouveaux métiers, la « Cloudification » du SI modifie les compétences espérées dans le domaine de l’infrastructure. On parle d’architecte cloud pour le design et la création de cloud privé, public ou hybride ou d’ingénieur cloud pour le maintien en conditions opérationnelles.

La Société Générale qui a passé 60 % son infrastructure dans le cloud et prévoit d’atteindre 80 % en 2020 recrute 150 à 200 CDI en 2018 pour sa division consacrée à « l’infra » et table sur un prévisionnel équivalent en 2019. Passant d’une infrastructure traditionnelle à une infrastructure programmable, Société Générale recrute des architectes cloud et des architectes logiciels – et plus seulement des architectes techniques – mais aussi des développeurs juniors et seniors. La banque a aussi nommé des « cloud captains » qui conduisent les métiers à monter vers le nuage.

« La technologie est au cœur du business bancaire et les infrastructures informatiques constituent une « great place to grow », un lieu pour reproduire et se former, avance Olga Karpouchina, DRH annexée de la direction des infrastructures informatiques.

 « Pour les collaborateurs, cette « Cloudification » est l’occasion de vivre une aventure fantastique et d’ajouter une ligne à leur CV, rajoute Pierre Haslee, responsable adjoint de la plate-forme de services Cloud. C’est aussi l’occasion de se frotter aux technologies open source, la participation aux communautés faisant partie intégrante des projets ».

Dans d’autres organisations, le passage au cloud pourrait, réciproquement, se traduire par une diminution d’effectif. Il s’inscrit dans le grand mouvement de l’externalisation après l’infogérance et la virtualisation. C’est très rare que les entreprises hébergent encore leurs propres serveurs dans une salle blanche et emploient des techniciens sous astreinte pour les administrer.

La famille Agile passe à l’échelle

L’agilité est rentrée dans les mœurs maintenant « Il n’y a plus de débat, tout le monde passe à l’agile. C’est devenu une vraie religion, constate Emmanuel Stanislas. Aujourd’hui, on est dans le test and learn, le MVP [Minimum Viable Product], la maquette. Les interactions sont permanentes entre l’IT et les métiers. Les organisations ont trop souffert des chantiers en cycle en V et de l’effet tunnel. Le projet durait des mois voire des années. Le monde changeait entretemps et l’attente n’était plus la même. »

Les grandes organisations se sont converties massivement à l’agilité et à ses rituels. Devant les murs tapissés de post-it, on trouve le coach agile qui collabore en amont pour former et conseiller. Le scrum master est, lui, le garant de la méthodologie en soutien aux opérationnels. Gérant le backlog (carnet du produit), le product owner veille à la qualité du produit et au respect du rapport coût-valeur.

L’agilité réclame surtout des qualités de communiquant et de pédagogue. « Un chef de projet élevé dans la culture du reporting aura du mal à endosser le rôle d’animateur de projet », estime Joanna Pomian, directrice conseil digital chez SQLI. Pour elle l’étape suivante c’est l’agilité à l’échelle qui consiste à faire œuvrer plusieurs équipes agiles au même temps. Pour cela, le coach agile va se soutenir sur le framework SAFe (Scaled Agile Framework). Joanna Pomian voit de même émerger la fonction de RTE (Release Train Engineer) qui s’occupe plus spécifiquement de poser le cadre méthodologique du déploiement de l’agile à l’échelle de l’entreprise.

Prolongation des méthodes agiles, DevOps a aussi la cote. Cette action qui consiste à faire travailler de concert les équipes de développement (les « Dev ») et de production (les « Ops ») afin d’accélérer les processus de mise en production répond pleinement aux injonctions de la transformation numérique.

Il s’agit avant tout, pour Agnès Jouvanceau, d’une ouverture d’esprit. « Des Ops font déjà du développement et inversement. Un ingénieur système qui fait de l’automatisation des tâches fait du DevOps sans le savoir.  »

La famille Sécu : des salaires en forte hausse

Face à la reproduction et à la sophistication des nouvelles menaces, les spécialistes de la cybersécurité sont particulièrement très recherchés. Selon le dernier baromètre d’Expectra, l’ingénieur sécurité devrait voir son salaire augmenter de 7,9 % cette année.

Pour Sophie Bayle, la cybersécurité est un marché encore à part. « Avant, on avait à faire à des autodidactes, des hackers qui faisaient des tests d’intrusion. De nos jours, ces rôles se sont professionnalisés. »

Entre les profils porteurs, on aperçoit le pentester qui va réaliser les tests d’intrusion, l’auditeur SSI qui contrôle les dispositifs de sécurité pour juger leur vulnérabilité, le consultant qui va préconiser les mesures à prendre pour les renforcer et l’expert en cybersécurité qui garantit la protection des données en éprouvant la résilience du SI, en identifiant les failles, en renforçant la sécurité par de nouveaux outils.

Ces profils sont couronnés par le RSSI qui, rattaché au DSI voire au DG, prend une nouvelle dimension avec les enjeux autour de la cybersécurité et la pression réglementaire du RGPD. « C’est la fonction qui monte, ajoute Alain Rochard. Il y a dix ans c’était M. antivirus.

Actuellement, le RSSI, ou CISO, est responsable de la sécurité tout court. La sécurité n’est pas qu’un difficulté informatique. Les menaces sont protéïformes. Elles peuvent être liées à l’affinité, au développement du télétravail, à la fraude… »

De son côté, Emmanuel Stanislas regrette une pénurie de compétences sur ces métiers de la sécurité. « Les entreprises sont obligées de recruter pour pas avoir de trou dans raquette qui les poserait en péril ou les exposerait à un risque réglementaire. Elles sont en concurrence sur ces profils avec les ESN. Du coup, on surpaie un candidat de 15 ou 20 % de plus que le marché. »

La famille Presta : le Cloud accroît la relation client-fournisseur

Avec l’externalisation qui s’accroit avec l’ascension en force du Cloud, la demande est pareillement forte dans les métiers de la gestion des fournisseurs.   « La Cloudification des applications et des infrastructures rend la gestion des contrats complexe », avance Frédéric Lau.

Le modèle économique du SaaS exige, par exemple, à l’acheteur de nouvelles avances dans la contractualisation et de tarification. « Face à la complexité des technologies, le rôle de l’acheteur est de plus en plus précis », observe, pour sa part, Sophie Bayle.

Une fois le contrat passé, d’autres métiers participent pour le faire vivre et s’assurer de la qualité de service. Le manager de contrat garantit le suivi opérationnel de la relation avec les éditeurs, les prestataires.

Profil hybride entre les activités achats, contrôle de gestion et finance, le vendor manager définit la gérance de la relation client-fournisseur puis son pilotage via des comités et de tableaux de bord afin de veiller au respect des engagements de services.

La famille Transfo : le CDO est-il déjà has been ?

L’ultime famille est destinée aux professionnels chargés de faire vivre la conversion numérique. Dans cette famille « Transfo », je demande le père, le Chief Digital Officer. (CDO)

Star il y a trois ou quatre ans, le CDO est-il passé de mode ? Les avis sont partagés.

Emmanuel Stanislas note une baisse de la fonction. « Le digital a été préempté par les métiers. Il est partout dans le marketing, les RH… » Même son de cloche auprès d’Alain Rochard pour qui le CDO est une fausse bonne idée. « Il amène du conseil, évangélise et mène des pilotes mais sa fonction transverse est progressivement absorbée par les métiers et la DSI. »

Le DSI tient, par conséquence, sa réparation sur le CDO. Un temps relégué à une fonction support, il est revenu sur le devant de la scène en obtenant, dans certaines organisations, le pilotage du changement numérique.

Pour sa part, Sophie Bayle constate que le CDO reste un profil convoité sur le marché. « Un très bon profil trouvera toujours un poste. »

Un degré plus bas dans la hiérarchie, d’autres profils se « digitalisent » au niveau des dirigeant des projets. On parle ainsi de chef de projet digital ou d’administrateur de portefeuille de projet digital (PMO). « Les anciens chefs de projet et PMO vont devenir digital, prédit Joanna Pomian. Ils peuvent aussi venir du marketing digital ou du design thinking. »

Parmi les autres activités citées dans la liste RH du Cigref, on trouve le responsable du marketing de la DSI qui a – comme son nom l’indique – pour objectif de « marketer » l’offre de la DSI, de le progresser et de la « vendre » auprès des utilisateurs internes.

Métier émergent, le responsable green IT aide l’entreprise à bâtir un système d’information plus éco-responsable en cueillant le numérique sous l’angle des enjeux environnementaux.

Enfin, parmi les métiers d’avenir, Sophie Bayle prédit que la blockchain sera le grand sujet de 2019 et qu’un expert sera prochainement chargé d’incarner en interne ce sujet parfaitement transverse. Rendez-vous dans un an pour voir si la prédiction sera réalisée.